Vivre de ses pets : l’incroyable pari du pétomane Joseph Pujol

Parmi les artistes qui illuminèrent de leurs talents les grandes scènes parisiennes de la fin du XIXe siècle, il convient d’accorder une spéciale mention au pétomane du Moulin Rouge.

Né en 1857 dans le Midi, à Marseille, le jeune Joseph Pujol exerça tout d’abord le métier de boulanger. Pourtant, sourdement, Joseph possédait en lui un incroyable don qu’il allait bientôt se décider à révéler au grand jour. Son secret : il savait roussiner comme personne et émettre de son verso de délicieuses sonorités, de véritables mélopées. Cessez donc de rire comme bossus, car nous parlons ici d’un véritable art, pratiqué sans relâche, avec zèle et abnégation, depuis sa plus tendre enfance.

Ainsi, un journaliste du Gil Blas nous apprend que « c’est à l’âge de treize ans que le phénomène en question s’est aperçu des avantages naturels dont la nature l’avait doté. Au collège de Marseille, il émerveillait déjà ses jeunes camarades de cinquième par un “talent” vraiment surprenant. Je dis talent, car plusieurs Facultés de médecine ont constaté, dans des rapports qui ont été publiés, que le sujet était admirablement constitué et que son truc consistait simplement en une facilité d’aspiration anale tout à fait curieuse ». Comme je vous le disais, le jeune homme disposait d’une remarquable conformation anatomique lui permettant d’émettre des flatulences mélodieuses et harmoniques. Ah, peuchère, que voilà un joli savoir-faire !

Sans doute encouragé par quelques acolytes, il prit finalement la résolution de quitter son fournil et son tablier pour vivre de son subtil organe en se lançant dans une carrière artistique assurément pas banale : des numéros de pets.

Joseph Pujol, le pétomane

Il commença à se produire dans les villes de Marseille et Bordeaux où ses spectacles — que d’aucuns qualifieraient de musico-fumistes — attirèrent un public nombreux et chaleureux. C’est que son talent était indéniable : notre homme connaissait son instrument à fond. Dans le journal La France, du 2 mai 1894, on peut ainsi lire : « M. Joseph Pujol est un artiste plus ou moins lyrique, dont les mélodies, des romances sans paroles, ne partent pas précisément du cœur. Il faut lui rendre cette justice : il a créé un genre absolument à lui, rossignolant dans les profondeurs de sa culotte les trilles que d’autres, les yeux au ciel, lancent au plafond ». Un son… lunaire, quoi !

Fort de son succès, notre excentrique décida de monter à la capitale où il fut repéré, dès 1890 par Joseph Oller, le fondateur du Moulin Rouge. Cet homme-là avait du nez ! Flairant le talent, il l’engagea aussi sec pour une série de spectacles. Ainsi, pendant de longs mois, à Montmartre, « la bouche béante, les oreilles ouvertes, les narines pincées, un public en délire applaudit avec frénésie à cette manifestation artistique fin de siècle » (La France, du 2 mai 1894). On savait s’amuser en ce temps-là !

moulinrouge

« Grand, mince, vêtu d’un habit rouge ponceau et d’une culotte courte en satin noir » tel que le décrit un rédacteur de L’Intransigeant, Joseph Pujol, le pétomane marseillais, était devenu l’incroyable attraction du Tout-Paris. Il attirait chaque soir des foules nombreuses de spectateurs curieux, des savants intrigués comme le docteur Freud ou encore des têtes couronnées tel le prince de Galles. Véritable homme-orchestre sans instrument, il aimait reproduire des cris d’animaux ou des sons incongrus et « personne mieux que lui ne savait “déchirer trois mètres de toile” » (dixit L’Intransigeant).

Une fois sur scène, « relevant ses basques, le valeureux artiste auquel on va faire fête, tout d’un coup s’accroupit, se contracte, s’enfle, pousse, et une première note exquise lui sort par la base : honneur et salut au Pétomane ! » s’exclamait un rédacteur du Journal de Roanne venu assister à la représentation. Joseph Pujol, maître de son art, interprétait tout : « le premier soupir de la jeune fille, la douleur de la veuve, le grand air de la Favorite [], le Retraite des tambours et la Marseillaise ! à perte de vue, en majeur, mineur, trilles et roulades. » Et l’étendue de son talent enivrait les spectateurs des fauteuils d’orchestre jusqu’aux cimes du poulailler…

Enfin, pour dilater les rates de ses spectateurs les plus collet monté et les plus flegmatiques, le pétomane ne reculait devant aucune fantaisie, et s’amusait à souffler une chandelle d’un seul ut dièse. Mes enfants, quel ravissement ! Et l’on quittait la salle de spectacle les yeux humides d’allégresse, avec des muscles zygomatiques en béton.

Pujol bougie

En 1900, lors de l’exposition universelle à Paris, Joseph Pujol fut même mis à l’honneur dans un film muet (quel dommage !) tourné par la compagnie de Thomas Edison. En voici un petit extrait.

Après des années de succès retentissants, et après avoir été engagé dans plusieurs music-halls, Joseph Pujol eut envie de s’établir à son compte. Mais au bout de quelque temps, son spectacle commença à lasser les Parisiens et, sans la réclame organisée dans les revues et la presse, ses recettes diminuèrent désespérément.

Ce fut, pour l’artiste, le début de la fin. Voici ce que l’on apprend, en décembre 1901, dans un article du journal Le Matin intitulé « La détresse du Pétomane » : « Grisé par son succès, Joseph Pujol […] voulut “travailler” à son compte. Il fit l’acquisition d’une baraque et parcourut les fêtes de Paris, de la banlieue et de la province. Mais, hélas !… la gloire est éphémère. Une foule de concurrents, jaloux de ses succès, se montrèrent, et bientôt la France entière fut sillonnée par des pétomanes, hommes et femmes, qui gâchèrent complètement le métier. […] Il dut céder sa baraque — son théâtre, comme il disait avec fierté — à un rival plus heureux, et il fut réduit, pour vivre, à vendre dans les fêtes des… “pets de nonne” ». Quelle tristesse !

Âgé de quarante-quatre ans et père de dix moutards, le pauvre homme sombra dans la misère et se vit expulsé de son logement parisien. Au début de la Première Guerre mondiale, renonçant définitivement à la scène, il retourna à Marseille et à son premier métier, la boulangerie. Il rendit son dernier souffle en 1945, à l’âge de 88 ans. Ainsi s’achève l’histoire du sympathique Joseph Pujol, le pétomane du Moulin Rouge. Paix à tes prouts, Maestro !

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9 réflexions sur “Vivre de ses pets : l’incroyable pari du pétomane Joseph Pujol

  1. Contrairement à beaucoup d’humoristes contemporains, son spectacle n’était pas que du vent. Il me semble que son école se perpétue dans l’intimité de beaucoup de couples. On peut aussi citer l’Opéra baroque  » La Soupe aux choux  » directement inspiré par ce grand précurseur. Mon commentaire n’est que pet de lapin en comparaison de l’élégance de votre écriture spirituelle.
    Merci et allez en pets

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    1. Merci encore pour ce billet chère Priss.
      Je repense au billet récent sur notre nain érotomane, nous revisitons avec le petomane les grands caractères de la littérature. Dans la série pétomane, plusieurs me reviennent à l’esprit, mais mon préféré est celui cher à Louis Nucera, dans Avenue des Diables-Bleus, qui se retrouvant au trou lors de son service militaire eut pour geôlier un petomane aux multiples talents. Je me permets d’en partager quelques uns en citant l’écrivain :
      Sa réputation tenait à une autre prouesse. Le matin, il remuait son café avec son sexe. Ceux qui avait assisté au quotidien exploit se demandaient comment il pouvait résister à la chaleur sans dommage.  « L’entraînement » disait il, d’un air pénétré…cet être doué possédait une autre singularité. Dans cet univers où le pet revêt une grande importance, où il est détonateur d’une franche gaité, il canonnait sur commande et plus encore à son gré. De mémoire d’écolier ou de militaire on ne se souvenait pas d’une conjonction aussi favorable: intensité, volume, vacarme, répétition, tout conspirait à la réussite. Il préparait des concerts, les improvisait à toute heure. En 1900, il eut été une vedette….
      Merci encore en attendant de vous lire,
      Guillaume

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