Dans l’Antiquité l’organe viril masculin, emblème de fertilité méritant d’être célébré, était l’objet d’un culte et recevait des honneurs divins. Cela s’explique notamment par le fait que la représentation phallique à but cultuel était détachée de toute connotation érotique et dissociée du corps de l’homme. Eh oui, il en aura phallus du temps avant que l’engin de ces messieurs ne devienne un sujet tabou qu’il faut comprimer, dissimuler, effacer. Je vais donc aujourd’hui vous parler de ce « culte honteux » selon les mots de César Famin, auteur au XIXe siècle d’un ouvrage traitant de la collection d’œuvres érotiques conservées dans le cabinet secret du musée de Naples et dont plusieurs illustrations de cet article sont issues. Un homme courageux qui, par amour pour la science et l’art, a bravé tous les interdits de son temps et étudié pendant de longs mois ces œuvres impudiques. Saluons son abnégation !
Le culte du phallus d’Osiris
Le culte du phallus est ancestral et permettait chez de nombreuses civilisations de favoriser le développement de la population. Dans l’Égypte antique, cet engouement pour l’appendice masculin est fortement lié à la légende osiriaque. En effet, la fable du dieu Osiris, emblème de l’amour conjugal, veut que ce dernier connût une fin tragique puisqu’il aurait été découpé en quatorze morceaux avant d’être jeté dans le Nil par son frère Seth, fou de jalousie. Sa douce parèdre Isis tenta alors de réunir le corps éparpillé de son défunt époux, comme figuré sur l’enluminure qui suit.
Malheureusement Isis a beau être une déesse, elle n’échappe pas à la « malédiction de la pièce manquante » et le membre viril d’Osiris demeure introuvable (gobé par un poisson, une sale histoire) ! Aussi décide-t-elle de fabriquer une représentation du phallus d’Osiris afin de pouvoir rendre à son corps les honneurs funèbres lui permettant de rejoindre le royaume des morts. À l’image de l’idole façonnée par Isis, des représentations phalliques se retrouvent alors exposées dans les temples et deviennent des objets de dévotion pour toute la population. Ainsi, Hérodote (484-425 av. J.-C.) rapporte que « Les Égyptiens […] ont inventé des figures d’environ une coudée de haut, qu’on fait mouvoir par le moyen d’une corde. Les femmes portent dans les bourgs et les villages ces figures, dont le membre viril n’est guère moins grand que le reste du corps et qu’elles font remuer. Un joueur de flûte marche à la tête ; elles le suivent, en chantant les louanges de Bacchus. Mais pourquoi ces figures ont-elles le membre viril d’une grandeur si peu proportionnée, et pourquoi ne remuent-elles que cette partie ? On en donne une raison sainte ; mais je ne dois pas la rapporter » (Hérodote, Histoires, II, 48). Et Plutarque (45-120) d’ajouter que « partout, ils montrent une statuette d’Osiris anthropomorphe avec un phallus en érection du fait de son pouvoir procréateur et nourricier ». Convaincus par les Égyptiens, les Phéniciens adoptèrent le culte du phallus d’Osiris et le transmirent en Orient, où il fut adoré sous le nom de Belphégor ou Béel-phegor (de Baal ou Béel, le dieu nu des Moabites). Puis vint le tour des Phrygiens qui embrassèrent cette idole en lui donnant le nom de Priape, qui aurait été le fils de Vénus et de Bacchus. De fil en aiguille, ce culte a fini par aller se faire voir chez les Grecs ; eux-même le transmirent aux Romains qui, comme d’habitude, s’alignèrent. D’ailleurs, petite mise au point avant de poursuivre : Osiris, c’est le Dionysos des Grecs et le Bacchus des Romains. À présent, laissez-moi vous présenter quelques idées déco à piocher parmi les objets de dévotion de l’Antiquité.
Les phallus votifs
Ainsi, à Athènes et à Rome on commence à suivre la mode égyptienne : on promène des phallus en procession, notamment lors des phallophories grecques.
Chez les Romains, le phallus divinisé est appelé Mutinus ou Tutunus, ce qui le rend tout de suite beaucoup plus sympathique. Aussi on « se prosternait dévotement devant lui, on lui adressait des prières » afin de se protéger « contre les charmes, les malheurs et les regards funestes de l’envie ». De même, des amulettes ithyphalliques (figurant un pénis en érection) étaient pendues au cou des enfants telle cette amulette prophylactique (pour se prémunir des maladies).
Grecs et Romains se mettent donc à porter de petites figurines phalliques et à en couvrir les murs de leurs maisons, car le phallus détient notamment le pouvoir de protéger les habitations privées. Selon l’historien helléniste Jean Marcadé, il « combat le mauvais œil et met en déroute le hideux génie de la malfaisance » (p. 333) aussi « on les plaçait sur la porte des maisons et des édifices publics » tel ce phallus à pattes, également appelé phallus-oiseau.
Ce qui est pratique avec le phallus à clochettes c’est que disposé à proximité d’une porte il peut faire office de carillon (pardon). Jean Marcadé ajoute que « doté de pattes, pourvu d’ailes qui rendent son intervention plus rapide, il devient susceptible, en tant qu’animal, de posséder lui-même un phallus, voire une queue phalloïde ; et cette prolifération renforce son action » (p. 333). Ce phallus-ci doit donc envoyer du lourd !
Dans la représentation iconographique grecque et romaine, les personnages pourvus de phallus en érection sont très généralement des génies protecteurs (p. 334), souvent entourés d’inscriptions qui ne sont autres que des vœux de bon augure pour les invités pénétrant dans la maison ce qui est plutôt charmant, convenons-en. Ainsi, je vous présente le GLADIATEUR !
Les piliers hermaïques
Mais à Rome, ces représentations phalliques sacrées ne servent pas qu’à décorer les maisons et protéger du mauvais sort. Il y a aussi les piliers hermaïques — du dieu Hermès — des piliers quadrangulaires surmontés d’une tête généralement barbue et munis d’un pénis érigé, comme vous pouvez le constater sur l’amphore ci-dessous réalisée par le peintre Nikon (ah, l’heureux nom !).
Alors, ces piliers ne sont ni des fontaines de jardin public ni des portemanteaux ; ils servaient principalement de « points de repère pour organiser l’espace, de bornes milliaires pour jalonner le territoire » au cœur de la cité. Et reconnaissez que c’est pratique pour indiquer une direction… À gauche toute !
Ainsi en rentrant du marché, il est d’usage de le saluer sur son passage, parfois avec candeur et familiarité comme le jeune homme représenté sur cette jarre des collections du Louvre.
Mais ces piliers sympathiques avaient aussi un autre usage, plus surprenant : le sacrifice à Priape. Ainsi notre pilier entre en scène dans le cadre de la cérémonie du mariage romain. Une fois mariée, la jeune épousée a encore une petite mission à remplir auprès de Tutunus avant de rejoindre son nouvel époux. Tête voilée et accompagnée de ses parents (sinon ce n’est pas amusant), elle était invitée à venir s’asseoir, comment dire… Bref, cet étonnant frontispice parle de lui-même :
Pour autant, ne soyez pas choqués ; d’ailleurs saint Augustin rapporte dans La Cité de Dieu (1, VI, chap. IX) que : « c’est une coutume considérée comme très-honnête et très-religieuse […] parmi les dames romaines d’obliger les jeunes mariées de venir s’asseoir sur la masculinité monstrueuse et surabondante de Priape ». Ci-dessous à gauche nous retrouvons l’application de ce rituel, sorti de son contexte, lors d’une bacchanale entre satyres.
Les bacchanales, ces fêtes en l’honneur de Bacchus, sont de celles dans lesquelles « surveiller ses arrières » est une règle élémentaire, je parle pour le jeune néophyte en train de ramasser son xylophone à droite. On y danse, on y chante, on s’enivre et on finit par tenter des figures impossibles… « On ne regrette pas sa soirée » comme dirait l’autre !
Voilà ! Si vous cherchez encore un moyen d’impressionner vos convives pendant ces fêtes de fin d’année… par contre je décline toute responsabilité !
Oui, parce que vous vous doutez bien que la Gaule n’a pas échappé à cet héritage antique ! Sachez donc qu’un culte phallique a perduré jusqu’au XVIIIe siècle dans le Lyonnais, le Languedoc et la Provence ; celui du phallus de saint Foutin de Varailles, premier évêque de Lyon martyrisé au IIe siècle et dont on caressait religieusement les parties — comme des reliques — pour s’assurer chance, protection et fertilité ! Il est dit qu’au VIIe siècle à Varailles en Provence, « des images de cire des organes des deux sexes, et dédiées à saint Foutin, sont suspendues au plafond de sa chapelle, de sorte que lorsque le vent les agite, elles s’entrechoquent et produisent un effet qui trouble un peu la quiétude des âmes dévotes ». Ceci sera ma dernière astuce déco, ne me remerciez pas !
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BIBLIO :
- DULAURE Jacques-Antoine, Des Divinités génératrices, ou du Culte du Phallus chez les anciens et les modernes, Éd. Dentu, Paris, 1805.
- FAMIN Stanislas, Musée royal de Naples, peintures, bronzes et statues érotiques du cabinet secret […], A. Ledoux, Paris, 1836.
- HERODOTUS Halicarnasseus, Histoire d’Hérodote : Euterpe, C. Crapelet, Paris, 1802.
- KNIGHT Richard Payne, Le culte de Priape et ses rapports avec la théologie mystique des anciens, Essai sur le culte des pouvoirs générateurs, Bruxelles, 1883.
- MARCADÉ Jean, Reliefs déliens, Bulletin de correspondance hellénique. Supplément 1, 1973.
- VASILIKI Zachari, « Image de l’espace ou espace de l’image ? », Cahiers « Mondes anciens », 2013.
Encore un article étonnant avec une petite touche de souffre et juste ce qu’il faut d’illustrations 😉 mention spéciale pour le gladiateur qui m’a bien fait rire ! Il a été retrouvé ici d’ailleurs : https://flutuante.wordpress.com/2011/08/09/the-fascinating-mutunus-titunus/
Pour la tradition du sacrifice à Priape/Munutus Tutunus, cela ressemble beaucoup à une tradition symbolique dont toute la portée sociale et symbolique justement aurait pu être perdu dans les descriptions et interprétations ultérieures. L’article wiki anglais (http://www.wikiwand.com/en/Mutunus_Tutunus) est d’ailleurs assez prudent là dessus.
Enfin, outre l’aspect anecdotique c’est assez intéressant intellectuellement de voir l’évolution du rapport à la sexualité et au corps au fil des siècles et selon les contrées. Les interdits en disent souvent autant que les libertés affichées. Je pense notamment à la figure du « fou » que j’ai redécouvert dans sa complexité avec Le sceptre et la marotte de Maurice Lever… plein d’histoires hallucinantes à traiter dedans 😉
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Merci Mealin ! 🙂
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Savoirs d’Histoire , bonjour et superbe dimanche ,une autre merveille de tes trouvailles , merci .
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Pas étonnant que ce savoir d’histoire se termine par la Gaule.
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L’article est très sympa, bravo !
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Priss ,ceci esbaaudira ma journée!
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St Pothin, en réalité St Foutin ou Futinus pour les Romains est célébré sur la commune d’un petit village de notre Var, Varages. Voir les liens de Google, c’est très amusant…
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Lu avec beaucoup de retard , encore eût il phallus que je le susse ! Passionnant ,comme toujours
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Excellent bien raconté
Félicitations
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